Crise ukrainienne : la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre

La débandade américaine en Afghanistan après une guerre de 20 ans a-t-elle marqué la fin d’un cycle historique entamé avec la chute de l’URSS en 1991 ?

Vladimir Poutine a reconnu hier officiellement l’existence de Donetsk et Louhansk, les deux républiques séparatistes pro-russes de la région ukrainienne du Donbass. Cette décision à la fois prévisible et inattendue lui permettrait-elle d’obtenir mieux que l’acceptation de ses demandes écrites adressées aux Etats Unis ?

En 1974, la Turquie membre de l’OTAN avait envahi Chypre, pays indépendant au prétexte d’une tentative de coup d’État à Nicosie. La « communauté internationale », à savoir les États-Unis et les pays européens n’avaient pas bougé. Cela fait 48 ans que ce pays est coupé en deux et ce n’est pas près de changer. Cette durée montre le basculement auquel nous allons être confrontés avec les décisions de Vladimir Poutine. Basculement qui va complètement structurer ce qui va se passer dans cette partie du monde.

Gare aux aveuglements

On rappellera brièvement les éléments de fond absolument incontestables de ce dossier. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis ont joyeusement piétiné et pillé la Russie grâce à leur marionnette alcoolique Boris Eltsine imposant au peuple russe un effondrement économique violent et douloureux et une succession d’humiliations difficilement supportables dans un pays au fort patriotisme. La Russie a dû avaler un nombre non négligeable de couleuvres dans certaines avait la taille du boa constrictor. Avec une reconnaissance unilatérale des indépendances de la Slovénie et de la Croatie, l’Allemagne réunifiée a donné le signal de la guerre civile particulièrement meurtrière qui a abouti à la désintégration de la Yougoslavie. Sous un prétexte jamais prouvé, l’OTAN a bombardé la Serbie, envahi une de ses provinces, le Kosovo, pour la détacher et en faire un État mafieux où ont été établies des bases américaines.

La Russie a été impuissante à protéger ses frères slaves orthodoxes. Ceux-là mêmes au secours desquels elle était venue en aide en août 1914 en rentrant en guerre contre les puissances centrales. On passera rapidement sur la litanie des autres violations du droit international par les États-Unis et l’OTAN qui ont démontré de l’Afghanistan au Yémen en passant par l’Irak, la Libye, et la Syrie leur façon d’envisager le respect des normes dont ils se prétendent les garants. Les mêmes ont décidé en 2014 de téléguider en Ukraine un coup d’État contre un président démocratiquement élu qui avait l’heur de leur déplaire pour entretenir de bonnes relations avec son voisin russe. Depuis cette date, le pays est également coupé en deux, les habitants des provinces russophones ayant refusé le fait accompli et l’installation à Kiev d’un gouvernement noyauté par des néonazis et particulièrement violent à leur égard.

Après avoir copieusement violé leurs engagements sur la non-intégration des pays de l’ancien bloc de l’Est à l’OTAN – engagements qu’ils ont toujours niés, mais dont le journal allemand Der Spiegel vient de publier les preuves, corroborant la version russe -, les États-Unis n’ont pas hésité devant cette opération calamiteuse organisée clairement pour intégrer l’Ukraine à une organisation militaire considérée comme agressive par les Russes. Cet aventurisme a provoqué les réactions que l’on pouvait imaginer. Emmanuel Macron a dit que Vladimir Poutine était paranoïaque ; il a raison. Nous avons rappelé dans ces colonnes le prix effarant payé pour la défaite de l’agresseur allemand, et le fait que l’on ne reprendrait plus jamais les Russes par surprise. Qui avaient demandé un engagement écrit cette fois-ci concernant le fait que l’Ukraine n’intégrerait pas l’OTAN. Refus des Américains et de leurs domestiques européens.

Avec le souci de la protection de son pays qui serait mis en danger par l’installation de missiles nucléaires à ses portes, Vladimir Poutine vient d’enclencher le processus qui devrait lui assurer la protection qu’il souhaite de ce côté-là.

La reconnaissance des républiques séparatistes va figer l’Ukraine dans un conflit frontalier qui comme celui de Chypre pourrait durer très longtemps et en tout cas, c’est la Russie qui en déterminera l’agenda. Cette opération inattendue dans sa fermeté vient donc de fermer les portes de l’OTAN à Kiev pour fort longtemps. Et désormais, si une guerre devait se déclencher, ce ne pourrait être qu’à l’initiative de l’Ukraine voulant s’opposer à la sécession désormais reconnue par la Russie des provinces de l’Est.

Alors, les bavardages sur le droit international, sur le respect des frontières, des nations existantes, la démocratie par ceux qui passent leur temps à les piétiner, tout cela relève aujourd’hui de la plaisanterie. Chacun sait bien que les sanctions appliquées à la Russie ne changeraient rien et seraient très douloureuses pour l’Europe, notamment sur la question énergétique. On imagine que nos écologistes, plus faucons que les pires faucons de Washington, seront ravis que les Européens s’alimentent beaucoup plus chers avec le gaz de schiste américain.

Jurisprudence Yves Lacoste

On avait appris avec le grand géopolitologue Yves Lacoste que : « La géographie ça sert d’abord à faire la guerre ». Nous avons devant nous une bonne leçon.

La Russie s’est en partie reconstitué un glacis sécuritaire pour compenser celui anéanti par la chute de l’Union soviétique. Fait des petits morceaux de son ancien empire, ayant ou non le statut d’État indépendant reconnu. Au sud avec bien sûr le Kazakhstan et la Géorgie neutralisée par les tampons de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Au sud-ouest on trouve la Transnistrie et désormais les régions de l’Est ukrainien. Quant à l’ouest, il ne faut pas oublier l’enclave russe dans l’UE, avec Kaliningrad. Mais à l’ouest, il y a surtout ce pays dont on parle finalement très peu, c’est-à-dire la Biélorussie que la ridicule tentative de « révolution de couleur » a rejeté dans les bras de Moscou. Sur le plan militaire, la Russie a donc récupéré un glacis défensif pouvant s’avérer menaçant vis-à-vis de certains pays de l’OTAN.

Elle qui avait indiqué qu’elle aussi pouvait tracer des lignes rouges n’a pas obtenu les garanties sécuritaires écrites qu’elle voulait. Mais le refus obtus et bavard des États-Unis lui a probablement permis de créer une situation stratégiquement favorable.

Les médias français, tout à leur occidentalo-centrisme, titraient que la décision de Poutine était « condamnée par la communauté internationale tout entière ». C’est à voir. Il manque pour l’instant la Chine et l’Inde ce qui fait quand même 2,8 milliards d’âmes. La France quant à elle, engluée dans une UE impuissante et dépourvue de toute réelle souveraineté, est condamnée à regarder passer les trains.

Les comédies narcissiques de son président n’y changeront rien.

Régis de Castelnau


Que pourrait-il se passer si les États-Unis rejettent l’ultimatum russe ?

Par The Saker – Le 21 décembre 2021 – Source The Saker’s Blog

Un article publié il y a deux mois sur le site du Saker !

Il y a beaucoup de discussions en cours sur ce que la Russie pourrait faire si l’Occident ignore l’ultimatum russe. Tout ce que je me propose de faire ici, c’est de partager quelques réflexions avec vous. Il ne s’agit pas d’une analyse approfondie, mais seulement de quelques réflexions sur ce que j’entends à ce sujet.

Premièrement, Poutine est à la fois très prévisible et, en même temps, très imprévisible. Ce qui est prévisible chez Poutine, c’est qu’il n’utilise la force que lorsqu’il n’y a plus d’autre option. Ce qui est très imprévisible chez Poutine, c’est comment et où il est prêt à utiliser la force. Il n’est pas intervenu dans le Donbass, ce que tout le monde attendait, et il n’a pas permis à la LDNR de prendre ne serait-ce que Marioupol, sans parler du reste de l’Ukraine. Mais lorsqu’il a envoyé une force opérationnelle spéciale en Syrie, personne ne l’a vu venir. Idem pour la décision de protéger la Crimée d’une invasion ukrainienne. Lorsque nous évaluons les prochaines étapes possibles de Poutine, nous devons garder à l’esprit ce paradoxe selon lequel il est à la fois prévisible et imprévisible. Ainsi, déplacer des armes nucléaires vers Kaliningrad et/ou le Belarus n’est pas la seule option pour la Russie.

Deuxièmement, il est impossible que la Russie déclenche simplement une guerre, ni contre l’Ukraine, ni contre l’UE ou l’OTAN, ni contre les États-Unis. Seul un imbécile ignorant déclencherait délibérément une situation qui pourrait aboutir à un holocauste nucléaire planétaire. Mais la Russie a beaucoup d’autres options.

Troisièmement, alors que dans les années 60, l’URSS avait besoin de Cuba pour déployer ses missiles afin de forcer les États-Unis à retirer leurs missiles de Turquie, la Russie n’a plus ce besoin aujourd’hui. Les missiles russes, tant nucléaires que conventionnelles, peuvent atteindre les États-Unis depuis à peu près n’importe où, y compris depuis la Russie, bien entendu. La création de bases à Cuba, au Venezuela ou au Nicaragua n’est pas, à mon avis, faisable ni même souhaitable : Je préfère voir cet argent injecté dans l’armée russe.

Quatrièmement, tous les porte-avions et autres navires de l’US Navy ont désormais une cible hypersonique peinte sur eux, et ils le savent. Cela aura une incidence considérable sur ce que l’US Navy peut se voir ordonner de faire ou sur les endroits où elle peut se déployer. Certains observateurs ont accusé la Russie de prendre l’Ukraine en otage. C’est une absurdité. Mais oui, les Russes retiennent, à toutes fins utiles, l’ensemble de l’US Navy en otage, des petits patrouilleurs aux groupes de combat de porte-avions. La seule, mais importante, exception à cette domination concerne les sous-marins nucléaires d’attaque, où la Russie a une parité qualitative (voire une supériorité) mais où les États-Unis ont un fort avantage quantitatif sur la Russie. Cependant, les sous-marins de l’US Navy ne disposent pas de missiles modernes et ne peuvent pas gagner une guerre à eux seuls. Ils ont également fort à faire avec la Chine.

Cinquièmement, nous savons, au vu de la taille de la force terrestre russe actuellement déployée à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière russo-ukrainienne, qu’il s’agit d’une force défensive dont la tâche serait d’arrêter une attaque terrestre ukrainienne sur la LDNR (les forces ukrainiennes, de taille plus ou moins similaire, sont déployées à quelques dizaines de kilomètres de cette même frontière). Ne vous attendez donc pas à voir des chars russes dans le centre-ville de Kiev de sitôt.

D’ailleurs, pourquoi la Russie devrait-elle interférer de quelque manière que ce soit si l’Ukraine et l’UE commettent de manière proactive un suicide culturel, économique, politique, social et même spirituel ?

Sixièmement, nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur le théâtre européen des opérations militaires. N’oublions pas que la Chine et la Russie sont désormais officiellement « plus que des alliés » et que la Russie peut vendre à la Chine exactement le type de matériel militaire qui horrifierait vraiment les États-Unis. De même, la Russie peut facilement cibler les forces américaines n’importe où dans le Pacifique, secrètement et ouvertement, d’ailleurs.

Septièmement, il y a le Moyen-Orient. Imaginez ce que la Russie pourrait livrer, rapidement, à l’Iran, par exemple (tout en fournissant des garanties verbales, mais significatives, à Israël que la Russie ne permettra pas à l’Iran d’utiliser ces systèmes contre Israël, à moins, bien sûr, qu’Israël n’attaque en premier (Remarque : il n’y a pas beaucoup d’amour entre la Russie et Israël, mais au moins les deux parties sont assez intelligentes pour se comprendre, ce qui aide beaucoup en cas de besoin).

Huitièmement, la Russie a un avantage énorme sur les États-Unis et l’OTAN en matière de guerre électronique (du niveau tactique au niveau stratégique) et elle peut facilement l’utiliser pour obtenir un effet dévastateur alors que l’OTAN n’a rien pour riposter. Cela s’applique d’ailleurs aussi au Moyen-Orient où, apparemment, la Russie a les moyens de perturber ou de brouiller les signaux GPS dans toute la région.

Neuvièmement, nous ne devons pas supposer que la Russie ne peut riposter que de manière proactive, ce serait une erreur. Par exemple, la Russie peut faire à l’Allemagne ce que le Kremlin a fait à l’Ukraine : cesser de prendre leurs appels et permettre l’arrêt complet de NordStream2. Pourquoi ? Parce que cela n’affectera que marginalement la Russie (les prix du gaz sont déjà très élevés et la Chine en absorbe une grande partie), tout en étant un arrêt de mort pour l’économie allemande, en particulier ses exportations. Donc, en fait, permettre à NordStream2 d’être suspendu « indéfiniment » (en réalité temporairement) serait la meilleure et, peut-être même, la seule façon de ramener les Allemands, actuellement en plein délire, à la réalité.

Dixièmement, la Russie pourrait cesser de vendre de l’énergie aux États-Unis. Oui, les États-Unis importent beaucoup d’énergie russe et si les Russes décident d’arrêter cela, l’état déjà clairement « pré-apocalyptique » de l’économie américaine en souffrira encore plus et ce n’est pas comme si les États-Unis pouvaient se tourner vers le Venezuela ou l’Iran pour l’énergie Quant à « Biden », il a déjà dû libérer une partie des réserves américaines.

Onzièmement, la Russie pourrait fermer son espace aérien à tous les pays de l’OTAN, je parle ici du trafic aérien civil. La Russie possède l’espace aérien le plus cher de la planète, et si elle le ferme aux transporteurs occidentaux, le chaos qui en résultera dans les airs et au sol sera total. Quant aux coûts des vols contournant la Russie, ils seraient absolument énormes.

Douzièmement, nous savons tous que la Russie a un énorme avantage sur tous les autres pays en matière de défenses aériennes. Si l’on ajoute à cela son avantage en matière de guerre électronique et de systèmes automatisés de gestion des combats, cela signifie que la Russie peut déployer une « coupole électronique » non seulement au-dessus de la Baltique ou de la mer Noire, mais aussi au-dessus de toute l’Ukraine ou des principales régions du Moyen-Orient. Les États-Unis et l’OTAN appellent cela « anti-accès/déni de zone (A2/AD) » et ils sont très inquiets à ce sujet.

Treizièmement, il y a l’action évidente : reconnaître les LDNR comme des États souverains. Il existe un fort soutien en faveur d’une telle démarche, tant en LDNR qu’en Russie. Le Kremlin pourrait le faire sans déplacer un seul soldat ni tirer un seul coup de feu, puis observer ce que les Ukronazis de Kiev feraient à ce sujet. Je pense que les Ukronazis ne feront pas grand-chose, mais s’ils le font, les Russes déclareront simplement une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la LDNR et préviendront que toute attaque contre la LDNR entraînera la destruction de la force attaquante. Si les Ukies persistent, les forces attaquantes seront vaporisées tandis que le reste de l’armée ukie perdra sa cohésion et se disloquera sous l’effet combiné des frappes russes et des capacités A2/AD. Poutine a récemment parlé de régions « non encore reconnues » et il a parlé de « génocide ». Maintenant que nous savons qu’un Kalibr lancé par un sous-marin a une portée de « plus de 1000 km », voyons comment un sous-marin russe peut atteindre l’ensemble des cotes de l’Ukraine depuis le centre de la mer Noire (Odessa serait à moins de 500 km de ce sous-marin) et n’oubliez pas que les Ukrainiens n’ont aucune capacité ASW et ne disposent que des défenses aériennes de l’ère soviétique (qui sont d’ailleurs en très mauvais état). Pour votre information, la flotte de la mer Noire dispose de 6 à 7 SSK, tandis que les défenses côtières russes couvrent l’ensemble de la mer Noire.

Quatorzièmement, il est rarement, voire jamais, rapporté en Occident que l’Ukraine a mené des attaques terroristes à la fois en LDNR et même en Russie proprement dite. Jusqu’à présent, la Russie n’a jamais exercé de représailles. Mais vous souvenez-vous de ce qui s’est passé après que les Takfiris ont fait exploser plusieurs bâtiments en Russie ? Sinon, ce qui s’est passé, c’est la deuxième guerre de Tchétchénie et l’anéantissement total des Takfiris en Tchétchénie (ce qui, selon tous les « analystes » occidentaux, était une tâche impossible au départ). Jusqu’à présent, le FSB a réussi à déjouer toutes les attaques ukrainiennes, mais si l’une d’elles réussit, c’en est fini du régime de Kiev.

Quinzièmement, l’Ukraine construit actuellement des bases navales pour l’OTAN à plusieurs endroits, dont une sur la mer d’Azov (c’est le plan que les deux génies Johnson et Ze ont imaginé). Ce plan est censé créer une marine ukrainienne en deux ans. Pouvez-vous imaginer à quel point il serait facile pour la Russie de laisser Johnson et Zelenskii « jouer aux Lego » pendant un petit moment, puis de désactiver tout simplement ces futures bases ?

Je suis certain qu’il existe encore de nombreuses autres options que je n’ai pas envisagées.

La puissance de l’ultimatum russe réside précisément dans le fait que les Russes ont promis de faire « quelque chose » de militaire et/ou militaro-technique, mais n’ont pas précisé ce que ce « quelque chose » pourrait être. Je vous parie qu’en réalité, nous n’avons pas affaire à un seul « quelque chose », mais à une succession de mesures graduelles qui exerceront une pression de plus en plus forte sur les États-Unis et l’OTAN/UE (même si cette dernière n’a pas la moindre importance). N’oubliez pas que si les États-Unis peuvent faire des contre-propositions, ils ne sont pas en mesure de proférer des menaces crédibles, d’où l’asymétrie fondamentale entre les deux parties : Les Russes peuvent proférer des menaces crédibles, tandis que les États-Unis ne peuvent que multiplier les mots, ce à quoi les Russes ont pratiquement cessé de prêter attention.

À partir de maintenant, le jeu est simple : La Russie va progressivement augmenter la « pression et la douleur » et voir comment l’Empire va y faire face. La Chine fera exactement la même chose, car les actions russes et chinoises sont évidemment soigneusement coordonnées.

Mon sentiment est que l’oncle Shmuel laissera les Européens couiner de douleur et ne leur apportera qu’un « soutien moral ferme à nos amis, partenaires et alliés » tout en ne se souciant que d’une seule chose : lui-même. Dès que la douleur commencera à atteindre sérieusement les États-Unis, ces derniers seront contraints de négocier avec la Russie et la Chine.

À ce moment-là, la Russie et la Chine auront gagné.

Quand la Russie va-t-elle augmenter la pression et la douleur ?

Je pense que les premières mesures seront prises rapidement, à moins que les États-Unis ne montrent des signes tangibles de leur volonté non seulement de négocier sérieusement, mais aussi de le faire rapidement. Poutine vient de répéter aujourd’hui qu’aucune tactique dilatoire américaine ne sera acceptable pour la Russie.

Jusqu’à présent, il semble que les États-Unis vont faire une contre-offre à Moscou. S’il s’agit des habituelles conneries sur l’exclusivité des États-Unis, la douleur sera très vite augmentée, au cours des deux prochaines semaines. Si l’administration « Biden » est réellement sérieuse et montre des signes tangibles, vérifiables, que Washington négociera, alors la Russie pourrait attendre un peu plus longtemps, nous parlons d’un mois, peut-être un peu plus. Mais personne en Russie ne parle d’années, ni même de plusieurs mois. L’horloge tourne maintenant et les États-Unis doivent agir très rapidement : avant mars, c’est certain.

Je terminerai sur une note semi-optimiste : « Biden » m’a déjà surpris au moins deux fois et « il » le fera peut-être à nouveau ? De nombreux analystes russes semblent penser que Sullivan est la voix de la raison dans l’administration américaine. Nous savons également que le général Milley n’était pas disposé à prendre le risque d’une attaque préventive chinoise (qui serait un pet dans un ouragan comparé à ce que les Russes pourraient déclencher contre les États-Unis s’ils décidaient de préempter une attaque américaine contre la Russie). Peut-être y a-t-il encore d’autres voix saines d’esprit dans l’État américain (profond ou autre) ? Peut-être les États-Unis feront-ils ce que la Russie a fait et tenteront-ils de donner l’impression de battre en retraite juste pour gagner du temps ? Même cela serait préférable à une guerre totale. D’ailleurs, les Russes sont bien conscients d’une éventuelle stratégie de retardement, d’où leur ultimatum assorti d’une date limite spécifique : « Montrez-nous quelque chose de tangible, pas seulement des platitudes, ou bien nous prendrons des mesures unilatérales ».

Tout président américain sain d’esprit n’essaierait pas de « mettre Poutine au pied du mur ».

Espérons et prions pour que « Biden » ait assez de bon sens pour comprendre cela. Les États-Unis viennent d’annoncer qu’une réponse officielle sera présentée à Moscou vendredi.

Je reste très, très dubitatif, mais l’espoir fait vivre, je suppose.

Andrei

PS : aujourd’hui Poutine a parlé avec Sholtz et Macron, hier avec Johnson.

PPS : Poutine a déclaré aujourd’hui qu’il en avait « marre » de l’Occident : « Et quand le droit international et la Charte de l’ONU interfèrent avec eux, ils déclarent tout cela obsolète et inutile. Et quand quelque chose correspond à leurs intérêts, ils se réfèrent immédiatement aux normes du droit international, à la Charte de l’ONU et aux règles humanitaires internationales. J’en ai marre de ces manipulations « .

PPPS : juste pour vous donner une idée de l’humeur en Russie, le talk-show « 60 minutes » d’aujourd’hui sur la TV russe a présenté non pas un mais DEUX généraux qui sont également des héros russes, dont le général Shamanov, l’homme qui a détruit les Takfiris en Tchétchénie, et qui a déclaré que la Russie « mettra en pièces » tout ennemi imaginable. Quelqu’un pense-t-il que Shamanov bluffe ? J’espère bien que non.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone


Dans le Donbass la mèche est allumée

Manlio Dinucci

Tandis que la situation dans le Donbass est de plus en plus incandescente, Biden, à la veille du colloque avec Poutine, a convoqué (en visioconférence) le 11 février ce qui de fait est le conseil de guerre de l’OTAN et de l’Union Européenne : le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, le premier ministre britannique Boris Johnson, le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz, le premier ministre italien Mario Draghi, le président polonais Andrzej Duda, le président roumain Klaus Iohannis, le premier ministre canadien Justin Trudeau, flanqués du président du Conseil Européen Charles Michel et de la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen. Le conseil de guerre OTAN-Ue a déclaré que “si la Russie effectue une ultérieure invasion de l’Ukraine, les États-Unis, avec leurs Alliés et partenaires, répondront de façon décisive et imposeront un coût immédiat et lourd.“ C’est ce qu’a dit le lendemain Biden à Poutine, non seulement au nom des États-Unis mais de l’OTAN et de l’Union Européenne. Refus total de toute tractation, de fait une déclaration de guerre, souscrite pour l’Italie par Mario Draghi sous les yeux d’un Parlement silencieux et consentant.

  Chaque jour les signaux de guerre imminente vont s’intensifiant. Le Département d’État est en train d’évacuer l’Ambassade à Kiev, et prévient les citoyens étasuniens de quitter l’Ukraine car “il ne serait pas en mesure de les protéger de l’attaque russe”. Même chose à la Farnesina (ministère des affaires étrangères italien). Le Pentagone retire d’Ukraine 160 instructeurs militaires, qui ont entraîné les forces de Kiev. Restent cependant des conseillers et instructeurs militaires appartenant aux Forces spéciales USA et OTAN, qui ont de fait la direction de l’Armée et de la Garde Nationale de Kiev. Au premier rang le bataillon néo-nazi Azov, qui s’est déjà distingué par sa férocité contre les populations russes du Donbass, promu par ses mérites au rang de régiment mécanisé de forces spéciales, armé et entraîné par l’OTAN. Sous le même insigne que la Division Panzer SS Das Reich, une des 200 divisions hitlériennes qui en 1941 envahirent l’Union Soviétique. Elles furent battues, mais le prix payé par l’Union Soviétique fut très élevé : environ 27 millions de morts, pour plus de la moitié civils, correspondants à 15% de la population (en regard de 0,3% des USA pour toute la Seconde guerre mondiale) ; environ 5 millions de déportés en Allemagne ; plus de 1.700 villes et bourgs, 70 mille petits villages, 30 mille usines détruits.

  Tout cela se trouve dangereusement oublié, tandis que la Russie continue à répéter, parlant à un mur, qu’elle n’entend pas attaquer l’Ukraine et dénonce la concentration croissante de troupes de Kiev en face du Donbass habité par les populations russes. Ici Kiev a déployé plus de 150 mille soldats. Ils sont dotés de véhicules lance-roquettes Grad, chacun pouvant lancer jusqu’à 40 km, dans une salve de 20 secondes, 40 roquettes de 122 mm avec des têtes munies d’explosif qui, dans la déflagration, investissent une vaste zone avec des milliers de fragments métalliques coupants ou des petites bombes à retardement. Une attaque à grande échelle avec ce type d’armes, contre les habitants russes des régions de Donetsk et Lugansk, provoquerait un massacre et ne pourrait pas être arrêtée par les forces locales constituées d’environ 35 mille soldats.

  La guerre pourrait exploser avec une opération sous faux drapeau. Moscou dénonce la présence au Donbass de mercenaires USA avec des armes chimiques. La mèche pourrait être une provocation, comme une attaque contre un village ukrainien, attribuée aux russes du Donbass qui seraient attaqués par les forces écrasantes de Kiev. La Fédération russe a prévenu : dans une telle situation elle ne resterait pas sans rien faire, mais interviendrait en défense des russes du Donbass, en détruisant les forces attaquantes. 

  Ainsi exploserait, au coeur de l’Europe, une guerre tout à l’avantage des États-Unis qui, à travers l’OTAN dont font partie 21 des 27 pays de l’Ue, et à travers la collaboration de l’Union européenne même, ramènent l’Europe à une situation semblable, mais plus périlleuse encore, à celle de la guerre froide, en renforçant l’influence et la présence étasunienne dans la région.

Edition de mardi 15 février 2022 d’il manifesto

Traduit de l’italien par M-A P