Detroit, et la faillite du contrat social étasunien

Prépublication du BIP n°154

par le Prof. Robert REICH

Information Clearing House 21.7.13 – Une manière de regarder la faillite de la ville de Detroit – la plus grande de l’histoire des États-Unis – serait comme un échec des négociations sur la répartition des sacrifices financiers entre créanciers, travailleurs et retraités municipaux, qui a nécessité un tribunal pour le faire à leur place. On pourrait également la voir comme l’aboutissement inévitable de décennies de conventions syndicales prévoyant des retraites et des services de santé pour les travailleurs de la ville, trop onéreuses à tenir.

Mais une tendance plus fondamentale ici, celle qui est entrain de se répandre à travers l’États-Unis: est que les Étasuniens se ségréguent par leur revenu plus que jamais. Il ya quarante ans, dans la plupart des villes (y compris Detroit) habitait un mélange de classes: riche, moyenne et pauvre. Maintenant, chaque groupe de revenu tend à vivre séparément, dans sa propre ville – avec ses propres bases d’imposition et ses organisations caritatives qu’il anime. À une extrémité il y a d’excellentes écoles, des parcs resplendissants, une sécurité d’intervention rapide, des transports efficaces et d’autres services de première catégorie; à l’extrémité opposée des écoles affreuses, des parcs dilapidés, une importante criminalité et des services de troisième catégorie.

La fracture géopolitique est devenu si palpable qu’être riche aux États-Unis d’aujourd’hui signifie ne pas avoir à rencontrer quelqu’un qui ne l’est pas.

Detroit est une île d’une dévastatrice pauvreté, d’une population majoritairement noire, de plus en plus abandonnée au milieu d’une mer d’abondance relative et principalement blanche. Ses banlieues sont parmi les plus riches de la nation. Le comté d’Oakland, par exemple, est le quatrième plus riche parmi les comtés des États-Unis de plus d’un million d’habitants. Le Grand Detroit – qui inclut les banlieues – est parmi les cinq premiers centres financiers du pays, les quatre premiers centres d’emplois de haute technologie, et la deuxième source en importance d’ingénierie et de talent architectural. Tout le monde n’est pas riche, certes, mais le ménage médian dans la région gagne près de $50.000 par an et le chômage n’est pas plus élevé que la moyenne de la nation. Le revenu médian des ménages de Birmingham, Michigan, juste à la frontière qui délimite la ville de Detroit, a été l’an dernier de plus de $94,000, dans les environs de Bloomfield Hills – toujours dans la région métropolitaine de Detroit – le revenu médian était de plus de $150.000.

Le revenu médian des ménages dans la ville de Detroit est d’environ de $26,000, et le chômage est incroyablement élevé. Une habitant sur 3 et plus de la moitié des enfants de la ville vivent sous le seuil de la pauvreté. Entre 2000 et 2010, Detroit a perdu un quart de sa population quand la classe moyenne et les blancs ont fui vers les banlieues. Ce qui l’a laissée avec un secteur immobilier déprimé, des quartiers abandonnés, des bâtiments vides, des écoles insalubres, une haute criminalité, et un revenu fiscal réduit de manière dramatique. Au cours des cinq dernières années plus de la moitié de ses parcs ont été fermés. Quarante pour cent de ses lampadaires ne fonctionnent pas.

En d’autres termes, aux États-Unis beaucoup dépend d’où vous mettez les barrières, et qui est à l’intérieur et qui est à l’extérieur. Qui est inclus au contrat social? Si «Detroit» est définie comme étant la plus grande région métropolitaine qui comprendrait sa banlieue, «Detroit» a assez d’argent pour fournir à tous ses résidents des services publics adéquats corrects sinon bons, et sans faire faillite. Politiquement, cela revient à poser la question: est-ce que les zones les plus riches de cette «Detroit» seraient prêtes à subventionner avec leurs recettes fiscales les zones pauvres du centre-ville, et les aider ainsi à rebondir. C’est une question délicate que les zones les plus riches probablement préféreraient ne pas avoir à affronter.

En tirant une limite pertinente qui n’inclurait que le centre-ville pauvre, et en exigeant de ceux à l’intérieur de cette limite de résoudre, tout seuls, leurs problèmes aggravés, les banlieues blanches et plus riches ne seront pas concernés. «Leur» ville n’est pas dans le pétrin, c’est l’autre -appelée «Detroit».

C’est à peu près comme une banque de Wall Street qui dessinerait une barrière autour de ses mauvais actifs, les braderait, et les passerait par pertes et profits. Seulement ici nous avons à faire à des êtres humains plutôt qu’à du capital financier. Et la vente à la chandelle qui viendra, se traduira probablement par des services municipaux pires, des écoles encore plus insalubres et plus de crimes pour ceux qui continueront à habiter dans la ville. Dans une époque ou les inégalités se creusent, voilà comment les Étasuniens les plus riches tranquillement radient les pauvres.

 

Robert B. REICH, est professeur émérite de politique publique à l’Université de Californie à Berkeley, il a été secrétaire d’État dans l’administration Clinton. Time Magazine l’a nommé l’un des dix secrétaires de cabinet les plus efficaces du XXe siècle. Il a écrit treize livres, dont les best-sellers «Aftershock» et «The Work of Nations». Son dernier, «Beyond Outrage», est maintenant en format de poche. Il est également rédacteur en chef fondateur du magazine American Prospect et président de Common Cause. Son nouveau film, «L’inégalité pour tous».

http://robertreich.org

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[Traduction Alexandre MOUMBARIS

correction Marie-José MOUMBARIS]


Detroit devient la plus grande ville étasunienne à se déclarer en faillite

Prépublication du BIP n°154

États-Unis

Qui a assassiné la ville de Detroit et pourquoi?

par le Prof. Dave HODGES

ICH 19/7/2013 -. Le 18 juillet 2013, Detroit s’est déclarée, selon la législation titrée «chapitre 9», en faillite afin de repousser le règlement de la plupart de ses $18 Mds de dettes. Ce recours a eu lieu seulement quatre mois après la nomination d’un administrateur financier. «Permettez-moi d’être cru: Detroit est fauchée», expliqua le gouverneur du Michigan, Rick Snyder, qui poursuivit en disant que Detroit est le cœur du Michigan et si Detroit est dans la panade, le Michigan l’est aussi.

Detroit est la plus grande ville étasunienne à se déclarer en faillite officiellement, succombant aux pertes d’emplois dans l’industrie automobile, aux décennies de fuite de population, et à l’effondrement du revenu pour la couverture des dépenses, allant du maintien de l’ordre jusqu’à l’éclairage des rues.

D’ici la fin de cet article, le lecteur sera amené à reconnaitre la sagesse prophétique des paroles de gouverneur Snyder, alors que la faillite de Detroit présage de ce qui est à venir pour la plupart des villes étasuniennes.

Detroit était autrefois la fierté des États-Unis

Quand Detroit était au sommet de son succès, elle faisait figure de modèle de la domination de la classe moyenne étasunienne. Elle était la ville industrielle la plus grande jamais vue sur la planète. Detroit construisait des voitures enviées par le monde entier.

À son apogée, elle fut la quatrième plus grande ville des États-Unis, avec plus de 1,8 millions d’habitants. La perte de population a commencé dans les années 1960 avec la migration vers les banlieues. Puis dans les années 1990 elle a été victime de la globalisation et le toit s’est littéralement effondré.

Comment tout est parti en vrille

Aujourd’hui, près de 30% de 360 km² de Detroit sont soit vacants soit désertés. […] Actuellement, Detroit compte moins de 700.000 habitants. Il y a plus de 33.500 maisons vacantes et plus de 90.000 lots vacants. La municipalité [dit gouvernement de la ville – NdT] rase des pâtés entiers d’immeubles commerciaux et résidentiels. Si vous êtes le dernier résident dans le pâté, vous pouvez être contraint de le quitter, et si vous êtes chanceux obtenir $10.000 pour votre maison.

Le prix médian d’une maison à Detroit est seulement de $9.000! Dans certains quartiers de Detroit, vous pouvez acheter une maison pour seulement $100. Il ya environ 85.000 lampadaires à Detroit, mais les voleurs de cuivre ont dépouillé tellement de câblage que la plupart des lumières ne fonctionnent plus. Le maire de Detroit a déjà annoncé qu’il réduirait le nombre de lampadaires de presque moitié du total existant, soit à 46,000.

Aujourd’hui, 60% des enfants de Detroit vivent dans la pauvreté, alors qu’il y a moins de 45 ans Detroit se vantait du plus haut revenu par habitant des États-Unis. Aujourd’hui, il n’y a plus une seule des grandes chaînes de supermarchés dans la ville.

Le taux d’homicide est un des plus élevés du pays. Son infrastructure a été éventrée. Le chômage réel, dans certaines parties de la ville, pourrait se situer à la hauteur de 20% . C’est une ville vraiment malsaine où l’on a du mal à trouver un policier, et avec les nouvelles compressions d’effectifs, ce sera encore plus difficile, parce que la plupart des postes de police de Detroit n’ouvrent maintenant leurs portes au public que pendant 8 heures par jour. Donc, si vous avez à vous défendre, il faut être prêt à passer la nuit sans l’aide de personne. Vous pouvez appeler la police sur votre «Obama phone»1, mais il vaudrait mieux le faire entre 8 et 17 heures. Pour réaliser juste combien la ville est dangereuse, il faut savoir que l’homicide justifié a augmenté en 2011 d’un étonnant 79%.

La globalisation a assassiné la ville de Detroit

La globalisation, avec les divers accords de libre-échange, a assassiné Detroit. Grace aux accords ALENA, GATT, et CAFTA2, les fabricants étasuniens d’automobiles furent libres de délocaliser leurs usines à l’étranger où ils trouvèrent un marché de quasi-esclaves. Le passage de ces accords de libre-échange permit d’embaucher des travailleurs étrangers esclaves et sans avoir à payer les droits de douane à l’importation prohibitifs de maintenant. Par ailleurs les sociétés transnationales purent expédier des produits fabriqués par une main d’œuvre esclave vers les États-Unis. Notre gouvernement n’a pas réussi à protéger les fabricants et l’effet final est que nous commençons à trouver aux États-Unis des conditions de travail tiers-mondistes dans des villes telles que Detroit, et qui se répandent comme une traînée de poudre. Depuis les années 1970, les États-Unis ont perdu 86% des emplois industriels. En fait, les globalisateurs au nom du libre échange, ont depuis 100 ans essayé de se débarrasser des droits de douane étasuniens. Consultez le Tarif Payne-Aldrich, il fait partie de notre histoire. Un an plus tard, nous avons eu le Federal Reserve Act de 1913 et la vraie fête à commencé pour de bon.

Les droits de douane servaient à payer notre dette publique. Ce n’est plus le cas, nous les avons remplacés par l’Amendement de l’Impôt sur les revenus. Si vous lisez ces faits historiques pour la première fois, vous devez commencer à vous mettre en colère. Et qui vous en voudrait pour votre colère? Vous et moi ne devrions pas payer des impôts sur le revenu, les droits de douane devraient servir à payer la dette publique. Nous payons des impôts sur le revenu parce que les globalisateurs veulent le libre-échange et il est de notre «devoir de payer» afin qu’ils puissent maximaliser leurs profits. La troisième étape de ce projet fut d’introduire une monnaie «virtuelle» [fiat money – basée sur la foi des usagers – NdT] où les banquiers pourraient créer de l’argent ex-nihilo ce qui a fait qu’un dollar de notre actuel ne vaut plus maintenant que 4 cents.

Retournons maintenant à Detroit, cela nous aidera à comprendre où nous allons. Peut-être que vous ne vivez pas dans une région du pays où les emplois sont délocalisés à l’étranger. Cependant, vous êtes ciblés par la désindustrialisation de la politique commerciale de «Cap and Trade»3 qu’Obama a l’intention de mettre en œuvre par des décrets exécutifs, en conformité avec les objectifs prévus par Agenda XXI4.

Si jamais vous laissez Agenda XXI avoir une emprise sur votre ville, le résultat sera le même que pour Detroit et se traduira par une pauvreté abjecte en raison des zones vertes, des terres sauvages, des promesses de croissance intelligente, de sauvetage de la planète du réchauffement climatique et des inhibiteurs de croissance économique, etc. Par ailleurs, les globalisateurs ont l’effronterie de construire un train léger pour un coût $25 millions à Detroit, en plein milieu de ce cadavre en décomposition.

Que se passe-t-il quand une ville est en défaut de paiement?

Dans ce cas il faut qu’elle cherche une organisation comme la Banque mondiale pour lui prêter les $18 Mds dont elle a besoin pour retrouver une solvabilité financière temporaire. Toutefois, sans industrie viable pour maintenir la base économique, il est prévisible que la ville fera défaut sur ses obligations d’emprunt futures. Ce qui suit est un regard sur l’avenir de toutes les villes des États-Unis pendant qu’un nombre croissant de celles-ci font défaut sur leurs prêts «de sauvetage».

Lorsqu’une entité politique fait défaut sur ses emprunts, l’organisme de prêt prend possession de ses biens hypothéqués qui garantissent le prêt. Le plus souvent, l’infrastructure est le bien la plus recherchée par des banques. Il est caractéristique quand les banksters5 prennent le contrôle d’une entité politique, telle que la Bolivie, qu’ils quadruplent le coût de l’eau, renchérissent astronomiquement les prix des services publics et prennent le contrôle des transports en commun dans le but de faire grimper le coût aux usagers (p.ex. les pauvres qui ne peuvent pas se payer une voiture et doivent aller au travail par les transports en commun). Voilà l’avenir de Detroit et ce sera bientôt celui de nous tous.

Detroit a échoué, en tant qu’entité viable en raison de la perte de l’industrie et la fuite consécutive de sa population. Le reste de nos villes, toutes subiront des effondrements économiques, mais pour des raisons différentes.

Quand, et pas si, Obama signera ces décrets de «Cap and Trade», dévastateurs pour l’industrie, chaque ville étasunienne sera effectivement désindustrialisée et nous aurons un pays plein de Detroits.

Savez-vous que Barack Obama a déclaré que son plan «Cap and Trade» diminuera de 80% l’énergie que nous utilisons actuellement? Pouvez-vous conduire en faisant 80% moins de kilomètres pour aller au travail? Une journée où il gèle, pouvez-vous réduire votre chauffage de 80%? Pouvez-vous utiliser votre éclairage 80% de moins, sans un impact majeur sur vos conditions de vie? Pouvez-vous n’acheter que 20% de l’essence que vous utilisez actuellement? Et quelle entreprise survivra à ces limitations draconiennes imposées à notre consommation d’énergie? Et puis, où allez-vous trouver du travail? Qui payera les mensualités de votre emprunt hypothécaire?

Maintenant que nous parlons, serait-il opportun de demander à savoir pourquoi la Federal Reserve achète chaque mois $40 Mds de titres adossés sur des créances hypothécaires? Hmm, et certaines personnes se demandent comment fera le pouvoir pour nous emballer et nous empiler dans des villes dépotoirs.

États-Unis, vous venez de voir votre avenir collectif.

Est-ce que cela vous paraît logique que le Département de sécurité intérieure [Department of Homeland Security] ait acheté 2,2 Mds de cartouches et 2.700 véhicules blindés? Les forces globalisatrices savent ce qui arrivera. Il est temps que ce pays se réveille et sente l’odeur du café. Vous avez été conquis. Les États-Unis, et beaucoup d’entre vous ne survivront pas, et si vous doutez de mes paroles ici, permettez à Obama de vous le dire à sa manière.

 

Dave Hodges est un professeur primé en psychologie et en recherche statistique.

http://thecommonsenseshow.com/ activiste politique

 

Notes de Traduction

1. Obama phones: Téléphones mobiles offerts par le gouvernement aux demandeurs d’emploi pour rechercher du travail.

2. ALENA, GATT, et CAFTA: Accord de libre échange nord-américain, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Accord de libre échange Amérique centrale, respectivement.

3. Cap and Trade: Instrument de politique de l’environnement où une limite supérieure des émissions de gaz de serre est imposée.

4. Agenda XXI: Est un plan d’action pour le XXIe siècle, adopté par 173 chefs d’État lors du sommet de la Terre, à Rio de Janeiro 

5. Banksters = Banques+gangsters

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[Traduction Alexandre MOUMBARIS

correction Marie-José MOUMBARIS]


Pas de ralentissement à notre rythme de lutte!

Grèce

Les conditions auxquelles la famille ouvrière-populaire doit se mesurer quotidiennement face aux difficultés causées par les continuels outrages, la montée de la lutte de classe n’est pas garantie d’avance. L’expérience même, gagnée dans les luttes de ces dernières années, confirme les difficultés qu’accumule le mouvement ouvrier-populaire, sa résistance et sa contrattaque, face à l’ennemi de classe, ses partis et leurs détachements au sein du mouvement syndical ouvrier.

L’effet qu’exerce la crise sur la conscience ouvrière et populaire est contradictoire. En résultent des agitations, des tensions, des processus positifs et des problématiques, mais coexistent aussi le compromis, le fatalisme, la compromission, la réduction des revendications devant le rouleau compresseur de l’attaque bourgeoise. Sous cette lumière, nous devons traiter la nécessité de réorganiser le mouvement.

La réorganisation n’est pas un slogan, ce n’est pas une orientation générale, ce n’est pas une affaire à flux constant avec une fin heureuse, ni la description d’une mise en scène virtuelle. Elle a des caractéristiques claires et précises. Elle fait référence à la nécessité de reconstruction du mouvement populaire, des organisations syndicales avec comme horizon la perspective axée sur les besoins actuels et les luttes quotidiennes qui se développent. Sur cette base, se pose impérativement la question centrale: «quel mouvement faut-il», mais avant tout et principalement se pose la question de son contenu.

La réorganisation du mouvement ouvrier avec des travailleurs prosternés devant les monopoles et s’accommodant du système capitaliste, ne peut exister. Il est impératif qu’il y ait des heurts avec les positions de soumission enrobées d’appels de lutte et de slogans révolutionnaires, qui se surnomment lutte anticapitaliste selon diverses recettes pour améliorer la gestion du capitalisme, qui se présentent comme moyen de développement du mouvement, l’union des actions de différents courants et groupes politiques, mais sans objectif final ni conditions préalables; qui contestent l’existence d’un courant de classe ou alors le considèrent disruptif et se battent pour la convergence des idées et des positions rivales.

Il ne suffit pas de seulement accroître la vigilance par un front face à ces perceptions et pratiques, pas plus que ne suffisent la persistance et la clarification méthodique. Il est nécessaire de procéder à un travail organisationnel constant et incessant auprès des travailleurs. Il n’est pas permis, alors que nous parlons de réorganisation, qu’un mouvement qui conteste le pouvoir des monopoles, de manquer de rigueur organisationnelle, et qu’en marge de son action il y ait de l’amateurisme et de l’improvisation.

La grève n’est pas une image et du «chahut»

La grève ne consiste pas simplement à «se retirer du travail». Une grève te place objectivement, en opposition au fonctionnement et au cœur du capitalisme, c’est à dire à la rupture de la production capitaliste. C’est en se basant sur ce fait  qu’il devient facile de comprendre pourquoi chaque grève rencontre l’attaque féroce de l’État et des grands employeurs. Par ailleurs, il éclaire aussi la raison pour laquelle les remparts du capital au sein de la classe ouvrière salissent la grève, laissent les travailleurs exposés aux griffes des employeurs, affaiblissent toute forme de discussion et de décision collective, dévalorisent cette forme spécifique de lutte.

Marx et Engels appréciaient particulièrement les grèves, non seulement comme forme de lutte, mais surtout comme une école pour la formation de la classe ouvrière; comme un enseignement qui prépare le prolétariat à la grande bataille contre la bourgeoisie; comme une école qui développe la conscience de classe des ouvriers, qui crée et étend les valeurs et les vertus de la classe ouvrière tels que le courage, l’endurance, la foi dans la victoire, la solidarité, le sacrifice de soi. Les grèves doivent être considérées comme des «écoles de guerre», dont le succès aujourd’hui peut freiner [l’adversaire] ou arracher des conquêtes, mais surtout parce qu’elles créent les conditions qui illustrent que la lutte économique ne suffit pas pour la victoire définitive.

Une grève ne se réalise pas avec des simulacres de bagarre, ni par l’activisme. L’activisme de grève est fait par ceux qui n’ont pas confiance aux travailleurs. Ceux qui ne croient pas en la puissance de la classe ouvrière, ceux qui se sont arrangés avec les patrons. La grève veut des grévistes avec un arrêt de production, non pas des temps de repos et des congés maladie. Elle veut des travailleurs dans les rues et non pas des représentations à des rassemblements.

La grève est une préparation à la bataille, pas un brouhaha. Elle veut un soulèvement, elle exige de l’organisation et non pas des slogans. La force et le succès de la grève se trouve dans l’action collective, dans la discussion sur tous les lieux de travail, dans la détermination au conflit et non pas dans les images de télévision. Elle exige sur les lieux de travail des travailleurs avant-gardistes, pas des bonimenteurs qui veulent faire avaler n’importe quoi.

L’organisation des travailleurs dans leurs syndicats et les formes de combat choisies exigent des comités de direction, qui discuteront ouvertement, qui prendront des décisions et des mesures pour que soient informés la branche, l’usine, les bureaux. Il est nécessaire d’informer largement avec des annonces, des tournées, des contacts avec les travailleurs. Il est nécessaire de prendre des mesures de sécurité pour protéger la grève contre les patrons, contre les briseurs de grève.

Contre l’ancien et le nouveau syndicalisme des employeurs et du gouvernement

Les modifications sur la scène politique se reflètent au le niveau syndical. L’employeur prend des mesures en créant avec ses hommes un nouveau syndicalisme gouvernemental ostentatoirement plus à gauche. La création par le haut d’un pôle où s’accrochent de nouvelles forces émergentes, sur des structures anciennes et détériorées qui, à leur tour, se transforment et changent de titres et de noms, est en cours.

Regardons la dernière grève, les forces qui en paroles levèrent l’étendard de la lutte, parlant parfois de grèves politiques ou parfois de grèves dans la durée; quelles mesures ont-elles prises pour le succès de cette grève. Rien! Apparemment, une grève de 24 heures serait méprisable devant les grèves politiques et les émeutes auxquelles appelle la Coordination des Fédérations – constituée par le haut, sans réunion, sans discussion et sans le mandat des Comité de direction syndicaux – où Syriza et les «repentis» du PASKE [Mouvement panhellénique de lutte syndicaliste des travailleurs – NtT] jouent a un rôle dirigeant.

Ce sont des briseurs de grève conscients. Ils ne veulent pas la grève. Ils affrontent la grève comme une obligation et un mal nécessaire, ou comme une forme de militantisme dans un cadre plus général de luttes de façade. Ils veulent ainsi transformer les organisations de base et les remplacer par des clubs d’activisme larguant tout contenu ou référence à la lutte de classe. Dans le façonnement du nouveau paysage politique ils recherchent le chahut, travaillent pour le spectacle, applaudissent les grèves et les mobilisations pour atteindre des buts électoraux. Sans faire l’effort de se cacher, ils cherchent à ce que le mouvement populaire devienne un mécanisme électoral qui porterait Syriza au pouvoir.

Le PAME avant et après la dernière bataille gréviste, avait averti, informé et dévoilé le rôle, du syndicalisme patronal et gouvernemental, aussi bien «le frais» que «l’ancien». Dans leur grande majorité les organisations syndicales, préparaient verbalement à la guérilla, leurs forces en tête; et pourtant nous n’avons pas eu écho de déclarations de participation ou de réunions des comités de direction des syndicats.

Celles-ci sont notoirement responsables concernant l’état du mouvement ouvrier. Même aujourd’hui, alors qu’elles lèvent soi-disant la bannière de la lutte, elles acceptent néanmoins la nécessité de la compétitivité de l’économie, ce qui détermine l’environnement conduisant à l’amenuisement des revendications, donne priorité à l’entente et à la coopération avec les employeurs et l’État, et tout cela loin des besoins des travailleurs. L’initiative de la Fédération des Employés du privé avec «l’Alliance pour le dimanche» qui sont sur la ligne des grands patrons commerçants, à la recherche d’alliés, même avec l’Église, constitue un bon exemple. Pour cette Fédération particulière qui se réclame de la coopération, nous cherchons encore à trouver ses blocs et ses grévistes chez «Sklaveniti», «Vassilo-poulo», «Attika» et ainsi de suite, mais bien plus nous recherchons comment ils se sont battus pour la réussite de la grève et quelles mesures ils ont pris pour sa préparation.

Elles remâchent le mot solidarité comme si c’était un slogan, mais dans leur attitude et leur action ils renforcent le clivage entre les travailleurs et mettent des obstacles à l’unité de la classe ouvrière. Les criards, par exemple, de la majorité dans l’POE-OTA [Fédération panhéllenique de travailleurs des organismes locaux autonomes – NdT] déchirer leurs vêtements pour la grève politique et appellent à l’unité. Mais ce sont les mêmes qui excluent les conventionnés de leurs syndicats comme des enfants de caste inférieure. La même situation de dévalorisation des négociations collectives et de carence d’information pour les travailleurs existe dans une série de syndicats et fédérations qui se mettent en formation de combat dès qu’ils entendent le mot      PAME.

L’attaque des forces du capital n’a pas de date d’expiration ni de limite. Comme l’a souligné dans son épilogue la déclaration du PAME «dans chaque branche et lieu de travail, il est nécessaire de renforcer d’éclairer et d’informer sur les développements et que tous les travailleurs participent à la discussion. Il est nécessaire de consolider les forces du PAME dans chaque lieu de travail et d’agir conjointement avec les autres couches populaires. C’est ainsi que nous façonnerons les conditions de réorganisation du mouvement, pour la défense [des acquis] mais aussi pour la contre-attaque générale».

Thanassis GKOGKOS

Membre du Comité central, responsable du travail ouvrier et syndical

[Ριζοσπάστης, 20.7.2013]

[Traduction Alexandre MOUMBARIS, correction Marie-José MOUMBARIS]


La télévision, reproduction de l’idéologie dominante

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Alexandre Aïvazov: « Le dollar s’effondrera en 2014 »

Ria Novosti, 16 juillet 2013

Entretien avec Alexandre Aïvazov, économiste, expert indépendant, spécialiste des cycles économiques

Bonjour M. Aïvazov! Pourriez-vous brièvement exposer aux lecteurs votre méthode d’analyse de la situation économique et financière? Sur quelles théories se fonde-t-elle?

L’épine dorsale du « Système périodique du développement capitaliste mondial du milieu du XVIIIe siècle à la moitié du XXIe siècle » que j’ai élaboré est constituée par la théorie des grands cycles de Kondratiev, la théorie du développement par l’innovation de Schumpeter, et par la théorie du chaos de Prigogine.

Dans mon Système, j’ai réussi à intégrer en un seul et même ensemble des cycles différents, les cycles courts de Kitchin (3-5 ans) et de Juglar (8-11 ans), les cycles moyens de Kouznetsov (20-25 ans), avec les cycles longs de Kondratiev (40-60 ans), les cycles de formation des Structures technologiques (ST) de Glaziev, M.Hirooka et K.Peres et les cycles séculaires d’Arrighi, Pantine et Badalyan et Krivorotov. Il s’est avéré non seulement que tous ces cycles sont connectés, mais qu’ils se complètent et se conditionnent mutuellement. En outre, je m’appuie dans mes recherches sur des classiques de la pensée économique, comme Adam Smith, Karl Marx, Keynes et bien d’autres.

Quelles grandes tendances se dégagent de cette approche?

J’ai remarqué une chose intéressante: depuis les XVIIe-XVIIIe siècles, deux conceptions majeures du développement s’affrontent. La première a été initiée par les physiocrates français dans la formule «laissez faire, laissez passer», appelant à la liberté d’entreprise, et rejetant l’implication du gouvernement dans la vie économique de la société. Plus tard, cela a donné la «main invisible du marché» d’Adam Smith, la loi de Say etc., jusqu’au néo-libéralisme moderne.

L’autre conception, formulée dans la théorie du mercantilisme, non seulement autorisait, mais exigeait l’intervention du gouvernement dans la vie économique, d’abord sous forme de protectionnisme (protection du capital national contre la concurrence étrangère), puis de participation directe de l’Etat dans la vie économique par redistribution des ressources financières à travers le budget de l’Etat, et en régulant l’ensemble de la vie économique, conformément à la théorie de Keynes.

Ces deux paradigmes se succèdent lors de la transition entre les phases montante et descendante de chaque grand cycle de Kondratiev. Le néolibéralisme a détrôné dans les années 1980 le modèle de développement keynésien, et le néolibéralisme sera à son tour remplacé durant la décennie actuelle par le post-keynésianisme, fondé sur la participation déterminante de l’Etat dans la vie économique de la société, jusque dans la planification, comme au Japon ou en Chine.

Dans quelle mesure les actions des gouvernements et des Banques centrales peuvent influer sur l’économie mondiale si celle-ci est déterminée par des cycles?

Tout dépend des cycles dont on parle. Si vous parlez des petits cycles de Kitchin, l’injection massive de liquidités dans l’économie et les programmes étatiques de stimulation de la demande (prime à la casse, etc) ont permis dès la fin 2009 de surmonter la crise de ce cycle. Dans ce cas, les gouvernements et les Banques centrales ont joué un rôle décisif.

Mais ce cycle dure 3 à 5 ans, et en 2012-2013, les économies occidentales sont de nouveau entrées dans la phase descendante de ce cycle, et les gouvernements et les banques centrales sont depuis à court d’idées. Dans le cadre des cycles de Juglar, l’économie occidentale n’est jamais sortie de la crise depuis 2008, comme le montre le chômage élevé, la faible utilisation des capacités de production, le renouvellement larvé du capital fixe. Si l’on observe les cycles moyens de Kouznetsov, là aussi les économies développées restent dans un état de dépression: la demande de logement est faible, les prix sont encore bas par rapport à la période d’avant-crise, la construction est en berne.

Concernant les cycles de Kondratiev, la transition de la phase descendante à la phase montante suivante, étape à laquelle nous nous trouvons, est le terreau de formation des innovations de base de la « ‘VIe structure technique »: nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information, énergie alternative, ingénierie génétique, qui ne seront pas opérationnelles avant 2020.

En contexte de crise, l’Occident adopte-t-il les bonnes décisions compte tenu des cycles?

Concernant la marge de manœuvre des Etats pour influer sur l’économie en contexte de changement de cycle, celle-ci est très mince. Les gouvernements ne peuvent qu’atténuer ou intensifier des processus revêtant un caractère objectif, mais les crises provoquent une inflexion des politiques menées, il est vrai pas toujours dans le bon sens.

Pour mémoire: la transition du IIIe au IVe cycle de Kondratiev a porté Roosevelt au pouvoir aux USA, et Hitler en Allemagne. La transition du IVe au Ve cycle dans les années 1979-80 a porté Thatcher au pouvoir en Grande-Bretagne et Reagan aux Etats-Unis, qui ont totalement modifié la politique économique menée avant eux.

Le problème est qu’en phase descendante des cycles, les gouvernements mènent généralement une politique « pro-crise » qui ne fait qu’aggraver la situation. C’est ce qui se passe actuellement en Europe et aux USA.

La crise de l’euro a repris de plus belle après une accalmie, notamment en raison de la dette de pays comme le Portugal. L’euro pourra-t-il surmonter cette crise?

L’euro survivra, mais l’Europe aura besoin d’une intervention chirurgicale. Certains pays devront être exclus de la zone euro, les autres traverseront des années difficiles. Mais je suis convaincu qu’après cette intervention, ce bloc n’en sera que plus fort. Bien sûr, il fallait tout de suite faire une « ablation » de la tumeur, et ils ont décidé de réaliser une « chimiothérapie » (émission de crédit). On ne note pas d’amélioration pour le moment, la maladie a été mise en veilleuse pour un temps.

En outre, l’UE traverse une crise de croissance, une monnaie commune existe mais il n’y a pas d’union budgétaire et fiscale. Il aurait fallu introduire avec l’euro des règles communes en matière d’impôts et de dépense des budgets publics. Le problème est que la zone euro a été formée lors de la phase montante du cycle de Kondratiev, alors que l’économie était florissante. Dès qu’on est passé en phase baissière, les problèmes sont apparus de plus belle. Il faut les résoudre, pas les remettre à plus tard.

Quand l’économie sortira-t-elle de la crise actuelle, qui a débuté en 2008 avec l’éclatement de la bulle des « subprimes »?

L’économie se récupèrera, mais cela n’arrivera pas avant 2019-2020. Il faut bien comprendre la nature de la crise actuelle. Le fait est que depuis la révolution néolibérale des années 1980, quand Thatcher et Reagan ont brutalement réduit les impôts sur les riches, étranglé leurs syndicats et créé les conditions pour la baisse des salaires des travailleurs, le monde a brusquement mis le cap sur la sphère financière, les riches n’investissant plus dans la consommation, mais dans les spéculations financières.

Regardez, actuellement, même les grandes corporations obtiennent jusqu’à la moitié de leur chiffre d’affaire non pas en produisant des biens, mais par le biais de spéculations sur les marchés, alors qu’il y a 30 ans ce chiffre était de 15%. Dans le même temps, le salaire réel aux Etats-Unis, si l’on déduit l’inflation, est resté au niveau de 1968.

Une question s’impose: à quoi était due la hausse du niveau de vie de l’Américain lambda avant la crise? La réponse est simple: au crédit. Les ménages, les villes et les autorités régionales vivent à crédit, tout comme les gouvernements des Etats. L’ensemble du monde occidental vit à crédit: cela signifie qu’il ne vit pas en conformité avec ses revenus, aux dépens d’autres pays qui ne consomment pas autant qu’ils le pourraient, et n’empruntent pas.

Va-t-on assister à un rééquilibrage violent?

Oui, le temps du rééquilibrage est venu. En Europe, personne n’est prêt à accepter une réduction violente de son niveau de vie, et il le faudra pourtant, de 25-30% au moins. Seule la crise le pourra, ce n’est qu’au terme de cette dernière qu’arrivera une restauration de l’équilibre mondial, gravement malmené depuis 30 ans.

De nombreux médias financés par l’oligarchie financière mettent l’accent sur des pays secondaires, comme la Grèce ou le Portugal, mais ce qui arrive aux Etats-Unis est bien pire. Il n’y a qu’une seule différence entre Washington et Athènes: le premier peut imprimer de l’argent, le second pas. Les Américains comme les Grecs vivent au-dessus de leurs moyens, créant moins de biens qu’ils n’en consomment, mais les premiers compensent la différence avec des « morceaux de papier vert » sans valeur, tout comme les colonisateurs de jadis achetaient de vraies ressources avec des morceaux de verre. Le monde entier accepte ces « morceaux de verre » pour fournir des biens véritables. Toute violation de l’équilibre mènera tôt ou tard à une crise, vouée à restaurer l’ordre violé.

Les USA impriment tous les mois 85 milliards de dollars. Les marchés sont suspendus aux annonces de la FED sur la poursuite ou l’arrêt du programme d' »assouplissement quantitatif ». Le pays peut-il arrêter d’imprimer du dollar?

Les marchés financiers se comportent comme des toxicomanes de longue date: tout rappel du fait que le toxicomane peut ne pas recevoir sa nouvelle dose le rend hystérique. C’est pareil avec les Etats-Unis pour l’impression de dollar, qui est leur drogue. Un toxicomane peut-il vivre une vie longue et heureuse? La réponse à cette question aide à comprendre ce qui attend les Etats-Unis ces prochaines années.

Ce n’est pas un hasard si Ben Bernanke quitte son poste en janvier 2014, alors qu’il pourrait rester pour un nouveau mandat. Il ne veut pas être le bouc émissaire de la politique qu’il a menée, il veut sauter d’un train qui roule vers l’abîme, il comprend les conséquences de sa politique.

Quelle est l’étape suivante pour les Etats-Unis?

Le dollar pourrait résister s’il ne jouait pas le rôle de monnaie mondiale. Ce qui sape le dollar, c’est qu’il supporte le fardeau d’un gigantesque volume d’obligations du monde entier. Personne ne peut le sauver. Les USA vivront des temps très durs, similaires à la Grande dépression.

Mais les Américains ont prévu une issue de sortie. Le plus probable est qu’ils feront défaut sur leur dette, se renfermeront sur le NAFTA (qui intègrera la Grande-Bretagne), mettront en place une nouvelle devise, l’Amero, sur lequel un accord a été trouvé avec le Canada et le Mexique dès 2007, puis ils panseront leurs plaies.

Le potentiel économique des USA est très important: ils ont des ressources, ils n’auront pas trop de mal à reconstituer leur potentiel de production, ils ont du personnel qualifié, leur niveau d’innovation est le plus élevé au monde, ils sont leaders dans l’assimilation de la Structure technique du VIe cycle de Kondratiev.

Il est vrai, on assistera à l’effondrement des liens technologiques et productifs liés à l’Europe, l’Asie et l’Amérique latine, les marchés financiers américains dégringoleront, leurs obligations redeviendront de simples bouts de papiers, les retraites de millions d’Américains seront dépréciées, le niveau de consommation et de vie des Etats-Unis va chuter, et toutes les bases militaires américaines à l’étranger seront fermées. Mais les USA surmonteront ces temps difficiles et après 2020 ils commenceront à rapidement redynamiser leur économie. Toutefois, ils ne seront plus l’unique leader de l’économie mondiale. Ils ne seront qu’un leader régional parmi d’autres.

Je n’envie pas ceux qui détiendront des dollars ou des obligations du trésor américain, mais personne ne forcera les Etats-Unis à rembourser leur dette par la force, car ils ont l’armée la plus puissante du monde.

Va-t-on faire face à de l’hyperinflation?

La politique américaine ne peut pas causer d’hyperinflation tant que le dollar joue le rôle de devise mondiale, car l’émission de cette monnaie est « disséminée » en une fine couche sur l’ensemble de l’économie mondiale. Les Etats-Unis diffusent leur inflation à l’ensemble du monde, en premier lieu aux pays émergents, qui ont une inflation d’au moins 5%, même si grâce à divers artifices techniques ils parviennent à jeter de la poudre aux yeux du monde entier.

En outre, une grande partie des dollars est absorbée par les marchés financiers, où ils viennent gonfler différentes bulles. La spéculation massive se produit précisément sur la base de cette masse monétaire excédentaire. C’est pourquoi les acteurs des marchés réclament la poursuite de l’assouplissement quantitatif. Mais prochainement, les marchés vont s’effondrer comme un château de cartes. C’est inévitable.

L’once d’or a chuté à 1200 dollars. De nombreux experts ont déclaré, dans le sillage de Paul Krugman, que c’était la fin de la « bulle de l’or ». Que pensez-vous de cette analyse?

Il faut immédiatement préciser de quel or nous parlons. Si nous parlons de l’or physique réel, qui depuis 5.000 ans sert d’équivalent universel, la demande pour ce dernier a fortement augmenté dernièrement. Les Banques centrales et les particuliers ont nettement augmenté l’achat d’or physique. Mais sur les marchés des métaux, où l’on échange de l’or virtuel, c’est-à-dire des contrats à terme sur l’or, on a observé une brusque chute des prix sur cet or virtuel. 95% du marché de l’or mondial, ce sont des contrats à terme sur les bourses, seuls 5% étant constitué d’or physique.

L’or est un étalon de mesure de valeur, un équivalent universel. Un mètre ou un kilo peuvent-ils perdre en dimension ou en poids? C’est pareil pour l’or, c’est un étalon de mesure sans lequel les indicateurs économiques seraient appréciés comme dans un miroir déformant. Théoriquement parlant, nous inversons tout quand nous disons qu’une once d’or vaut 1200 dollars, il faudrait dire qu’un dollar côte 1/1200ème d’once d’or. En réalité ce n’est pas l’or qui monte ou descend en valeur, c’est le pouvoir d’achat du dollar par rapport à l’or qui monte ou baisse.

Pourquoi le dollar américain a-t-il commencé à jouer après la guerre le rôle de devise mondiale? Parce que le dollar était « aussi bon que l’or », il était adossé à 70% à l’or. En 1971, il a fallu déconnecter le dollar de l’or et laisser le métal jaune « flotter librement » par rapport aux autres devises et biens. Mais l’or reste l’étalon de valeur. Dès que des crises et des bouleversements se font sentir sur les marchés, beaucoup accourent vers le « havre de paix de l’or ».

Actuellement, certains acteurs du marché des « futures » ont intérêt à faire baisser le prix de l’or, certainement en vue de l’achat massif de métal bon marché avant sa hausse en flèche. Ils l’ont fait baisser au maximum pour pouvoir gagner à l’avenir des sommes énormes, car dès août-septembre, la question du plafond de la dette US se reposera, avec la possibilité d’un défaut technique. Et pendant qu’Obama bataillera avec le Congrès, les prix de l’or vont à nouveau percer tous les maximums historiques (des pics de 2500-3000 USD l’once sont tout à fait plausibles). Cela devrait se produire au cours de cette année.

Le cours de l’or a été multiplié par 7 depuis 2001, et ces derniers mois, il a été divisé par 1,5. Difficile de parler de fin de la « bulle de l’or », quand ce métal reste 4,5 fois plus cher qu’il y a douze ans!

Vous prévoyez le krach du dollar pour 2014. Les événements actuels confortent-ils cette opinion?

Le krach du dollar peut arriver à n’importe quel moment, car toutes les conditions sont réunies. Certes, le gouvernement américain et la FED ont une réserve de solidité leur permettant de reculer l’échéance en menant une politique raisonnable (ce dont je doute fort). Mais le krach est inévitable. Selon mes estimations, cela aura lieu en 2014, dans le meilleur des cas en 2015, mais pas plus tard.

Comme l’écrit Boulgakov dans Le Maître et Marguerite: « Annouchka a déjà renversé l’huile » (qui provoquera la mort d’un personnage, Berlioz, ndlr). Des événements X ou Y ne peuvent qu’accélérer ou légèrement reculer les processus en cours, mais pas les arrêter, tout comme nous ne pouvons pas éviter la mort. Le processus naturel de vieillissement du modèle capitaliste américain mène inexorablement à la mort de ce modèle, et la crise permettra de reconstruire l’économie conformément aux nouvelles exigences mondiales.

Face aux bouleversements qui les attendent, que peuvent faire les gens pour protéger leurs économies?

Le « gourou » des marchés spéculatifs Jim Rogers (un ancien proche de Soros), que je respecte beaucoup, émet depuis longtemps les mêmes mises en garde que moi. Il conseille pour conserver ses économies de les placer dans l’or ou dans les denrées, mais aucun cas dans des actions, des obligations, ou des titres de dette. Tout ceci sera fortement dévalué pendant la crise, et les valeurs stables telles que l’or se maintiendront. Les gens auront en outre toujours besoin de manger.

Il est curieux de constater que le spéculateur Jim Rogers conseille aux traders et experts financiers de fuir Wall Street à toutes jambes: en novembre 2010, il a appelé les étudiants à renoncer à faire carrière à Wall Street ou à la City, car ces prochaines années, vivre à la ferme rapportera plus que Wall Street. Il a en outre confirmé la théorie de Braudel et Arrighi: « Si vous étiez intelligent en 1807 vous auriez déménagé à Londres, si vous l’étiez en 1907 vous seriez parti à New-York, et si vous êtes malin en 2007, déménagez en Asie ».

La guerre peut-elle résoudre les problèmes de dette de l’occident?

L’histoire montre de manière convaincante que les leaders mondiaux de différentes époques ont cherché à résoudre leurs problèmes au moyen de la guerre. Napoléon a cherché grâce aux guerres à unifier l’Europe continentale contre la Grande-Bretagne et ainsi à résoudre les problèmes économiques de la France, en faisant du pays le leader du cycle hollandais d’accumulation du capital. Mais il a perdu et cédé la palme du leadership à la Grande-Bretagne, qui 100 ans plus tard a elle aussi cherché à assurer sa position en déclenchant la Première Guerre mondiale.

A la différence de Napoléon, le pays a gagné la guerre, mais il est devenu débiteur net, et a cédé le leadership mondial aux Etats-Unis. Ces derniers cherchent, 100 ans plus tard, à déclencher une nouvelle guerre au Proche-Orient, près des frontières de leurs concurrents potentiels: Chine, Russie et Inde. Mais ils ne font qu’aggraver leur situation économique et plongent le pays dans la crise. Il faut étudier les leçons de l’histoire pour ne pas tomber sans cesse dans les mêmes pièges. Et ne pas chercher de solution simple à des problèmes complexes. Elles n’existent pas!

A quoi ressemblera le monde d’après-crise?

La particularité de la période actuelle est que selon les cycles d’accumulation de capital (Braudel, Arrighi), il s’y produira un transfert du cycle américain vers le cycle asiatique, dont les leaders sont actuellement la Chine et le Japon. Des pays dont les économies sont basées sur le modèle postkeynésien reposant sur les principes de collectivisme et de solidarité, aux antipodes de l’individualisme et de la concurrence intrinsèques au modèle anglo-saxon. C’est un changement important qui s’accompagnera de bouleversements dans l’économie mondiale.

Grossièrement, notre économie mondialisée actuelle va se scinder en plusieurs méga-régions, à l’instar de l’UE. On assiste d’ores et déjà à la formation de pôles économiques comme le NAFTA (USA, Mexique, Canada et qui devrait intégrer à terme la Grande-Bretagne), la Chine avec l’ASEAN, les pays d’Amérique latine, la Communauté économique eurasiatique.

Chaque méga-région aura sa devise de base, ses instituts, ses lois et ses règles en matière de relations interétatiques, compte tenu des spécificités culturelles, nationales, religieuses et civilisationnelles des Etats membres. Ces méga-régions vont tisser entre elles de nouvelles relations au niveau mondial.

D’ici 2020, le monde aura un visage radicalement différent de celui qu’on lui connaît aujourd’hui.

Propos recueillis par Hugo Natowicz.


Syrie : coup dur pour les amis de François Hollande, révolution dans les « zones libérées »…

Blog d’Alain JULLES, 11 juillet 2013

Le mécontentement gronde, la foule scande le nom de Bachar al-Assad. Le peuple n’en veut pas, n’en a jamais voulu. Ils (les amis de François Hollande)le savent et sont de plus en plus inquiets. Comble du malheur, même l’homme seul qui tient l’information sur la Syrie relayée par la presse « mainstream » avoue. Rien ne va plus dans les « zones libérées » par le Front al-Nosra et autre ASL et/ou Al-Qaïda. Les manifestations se multiplient en faveur du lion de Damas.

Alors que la Syrie vit son troisième ramadan de guerre, il y a une nouvelle donne sur le terrain, avec notamment la défaite qui se précise pour les gangs armés, avec en toile de fond, une satisfaction accrue de l’Occident qui remercie en filigrane le président Bachar al-Assad, l’homme qui traque les terroristes et sauve en réalité la planète. Oui, contre cette vermine, contre ces renégats ; contre la clique pousse-au-crime, les tueurs patentés. La vermine wahabo-salafo-terroriste est dans une impasse, surtout à Homs en ce moment. La galère se précise de façon significative dans le zones du nord et du sud où, leur encrage était encore significatif, il y a quelques semaines.

En effet, dans les zones dites « libérées », entendez à forte concentration sunnite, les populations n’arrêtent pas de se soulever et de dire leur mécontentement. Malgré les exécutions sommaires, les intimidations, les viols, rien n’y fait, les populations n’ont plus peur de la mort. Elles veulent être libérées de ces renégats qui les tiennent sous le joug de leurs Kalachnikov, de leur gaz sarin et de leurs attentats contre eux. Les populations disent non à la charia parce que, ce n’est pas ça la Syrie, pays où l’œcuménisme n’a jamais été un vain mot.. Peut-être que Barack Obama et ses caniches auront la surprise de découvrir que, les sunnites syriens, aiment leur président.

Quand la plus grande ville de Syrie, c’est à dire Alep, se soulève dans les zones dirigées par les terroristes, il faut craindre le pire pour les protégés de l’Occident. Quoi de plus normal quand vous soumettez le peuple en pillant, violant et volant leurs biens tout en imposant la charia ? Les arrestations arbitraires se multilient. Personne ne les accueille en héros ou libérateurs. Rien. Parce que, ces gens ne savent que faire ça, au grand dam de leurs supporters qui ont de plus en plus de mal à les comprendre.

 Ce ramadan risque de leur être fatal, pour le bonheur des Syriens….


Le nouvel émir du Qatar va-t-il fermer Al Jazeera ?

Algérie Patriotique, M. Aït Amara,  5 juillet 2013

Tout indique que le nouvel émir du Qatar envisage d’effacer toute trace du règne chaotique de son père. La nouvelle de la passation du pouvoir entre Hamad Ben Khalifa Al-Thani était, en elle-même, il y a déjà plusieurs mois, un indice de taille sur les nouvelles orientations politiques internationales que Doha a été sommé de mettre en œuvre à la lumière des derniers changements survenus dans le monde arabe. La guerre imposée à la Syrie étant sur le point d’être gagnée par le pouvoir en place, les Etats-Unis ont dû, forcés, revoir leur stratégie de fond en comble dans cette partie du monde d’où la première puissance mondiale puise l’essentiel de ses ressources et de sa force de frappe pour maintenir son hégémonie sur l’ensemble de la planète. Les premiers signes de ce changement sont les décisions successives du nouvel homme fort du Qatar qui vont toutes dans le sens contraire de son prédécesseur. Le nouvel émir du Qatar a salué, hier, ce qui est qualifié de «transfert du pouvoir» en Egypte, après la déposition du président issu de la secte des Frères musulmans, Mohamed Morsi. Une réaction qui a étonné plus d’un, mais qui entre en droite ligne dans le réajustement géostratégique de circonstance voulu par Washington. Cette position pour le moins surprenante intervient après une série d’informations faisant état de l’extradition du prédicateur égyptien Youssef Al-Qaradawi, porte-voix exégétique de l’émir déchu. Toujours en Egypte, les autorités militaires ont – sans que cela ait donné lieu à une quelconque condamnation de la part des autorités qataries – pris la décision judicieuse de fermer le bureau d’Al Jazeera, la chaîne de propagande créée par Hamad Ben Khalifa Al-Thani aux fins d’appuyer une politique moyen-orientale américaine programmée de longue date et qui devait aboutir à ce que les laboratoires spécialisés dans la communication subliminale ont appelé le «printemps arabe». Mais, comme de coutume, les calculs des services secrets américains se sont, encore une fois, révélés faux. Le réveil, bien qu’un peu tardif, de l’armée et d’une bonne partie de la société civile et de la classe politique en Egypte a sonné le glas d’un plan d’envergure qui devait assujettir tous les pays arabes qui peuvent former une force de frappe arabe redoutable face à Israël s’ils venaient à s’unir. C’est ainsi que l’Irak a été laminé, la Syrie affaiblie, l’Algérie soumise à un terrorisme sans égal dans l’histoire de l’humanité, la Libye désintégrée et l’Egypte offerte à la confrérie religieuse des Frères musulmans qui allaient enfoncer le pays dans une crise d’une gravité telle que des experts – y compris égyptiens – parlent même d’une probable famine dans les années à venir pour au moins deux raisons : l’insuffisance des ressources hydriques qui se feront de plus en plus rares dans le pays et la non-maîtrise des naissances encouragée par un pouvoir islamiste qui interdit tout recours aux moyens contraceptifs. Le renversement du président Mohamed Morsi et l’emprisonnement des principaux leaders de la confrérie des Frères musulmans marquent la fin de l’islam politique en Egypte et l’échec d’un plan ourdi de longue date. La défaite proche de l’opposition islamiste armée en Syrie achèvera de confirmer le revers de cette machination diabolique dont les prémices remontent au début des années 1990, lorsque les puissances étrangères tapaient du pied pour que fût rétabli un processus électoral impropre et malhonnête arrêté in extremis par l’armée en Algérie.
M. Aït Amara


Égypte : une catastrophe financière pour le Qatar

RÉSEAU VOLTAIRE | 4 JUILLET 2013

La rapide chute des Frères musulmans, un an seulement après l’élection à la présidence égyptienne de Mohamed Morsi, est un dur revers économique pour le Qatar.

Sur 110 milliards de recettes annuelles, l’émirat en avait octroyé 8 en dons divers pour soutenir l’expérience des Frères musulmans en Égypte.

À contre-courant des autres grandes chaînes arabes, la télévision qatarie Al-Jazeera couvrait les manifestations et le coup d’État militaire sans cacher son parti-pris en faveur de Mohamed Morsi.

« Fall of Egypt’s Mohamed Morsi is blow to Qatari leadership », par Simeon Kerr, The Financial Times, 3 juillet 2013.


13 ans de persécution : Assez – Genoeg – Basta !

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Investig’action,  8 juillet 2013

Lundi 17 juin vers 15h45. Profitant de quelques jours de vacances en Andalousie, je visitais paisiblement la mosquée de Cordoue en compagnie de mon épouse et mes deux enfants (3 et 4 ans) lorsqu’une dizaine de policiers en civil me sont tombés dessus.

 Dehors, dans la Calle Torrijos, nous attendait un convoi de véhicules banalisés. J’ai pris place dans l’une des voitures en compagnie de trois de mes ravisseurs et du chauffeur. Ma femme et mes deux enfants ont été embarqués à bord d’une voiture stationnée juste derrière.

 Le convoi composé de quatre véhicules s’est rapidement mis en branle sous les regards ahuris des taximen, des touristes et de quelques familles Rom massées à la porte de la mosquée-cathédrale.

Quelques minutes plus tard, je me suis retrouvé dans le bureau d’un commissariat de la ville. Neuf policiers en civil s’agitaient autour de moi.

 La voix de mon épouse et celle de mes enfants me parvenaient de temps à autre entre le cliquetis des claviers, les questions des enquêteurs, les conversations entre agents et la fouille de mes effets personnels.

Bien que mes enfants se trouvaient dans une pièce adjacente, on m’interdit de les voir et on me somma de rester assis. Il me faudra attendre cinq jours et mon retour à Bruxelles pour les revoir, les consoler, les rassurer.

 La souffrance de voir et d’imaginer mes enfants subir un telle violence psychologique et la colère envers les acteurs de cette mise en scène grotesque me rongèrent pendant les quatre jours où je fus arbitrairement privé de liberté.

 J’étais d’autant plus révolté que je savais dès le moment de mon arrestation que tout ce cinéma était dû au signalement Interpol lancé par l’Inquisition erdoganienne pour ma participation il y a treize ans à un chahut au Parlement européen à Bruxelles.

Pour moins que des prunes

 Alors que les enquêteurs me questionnaient sans réelle conviction, réalisant à l’évidence que leur proie était sans grand intérêt, une policière vint confirmer que le mandat d’arrêt international émis à mon encontre était motivé par mon action au Parlement européen. Elle ajouta qu’il avait été réactivé le 28 mai 2013, soit à peine 20 jours plus tôt.

 Cette fameuse manifestation qui nous valait tant de misères à moi et ma famille treize ans après sa tenue visait le ministre des affaires étrangères de l’époque, Monsieur Ismail Cem.

 En clair, le 28 novembre 2000, le ministre turc était venu vanter à Bruxelles les progrès de son gouvernement en matière des droits de l’homme au moment même où des milliers de prisonniers politiques observaient une grève de la faim « jusqu’à la mort » contre les tortures dont ils étaient victimes.

 Le gouvernement que représentait Monsieur Cem s’était notamment rendu coupable de nombreux massacres de détenus politiques, à Ulucanlar en septembre 1999, à Burdur en juillet 2000 et lors de l’opération « Déluge » (Tufan), le 19 décembre 2000.

 Le contexte politique de l’époque rendait donc mon action démocratique particulièrement légitime. Elle a d’ailleurs été reconnue comme telle par les autorités de mon pays, la Belgique et par un tribunal néerlandais.

 Notons également qu’à l’époque de ce chahut, le Parti de la justice et du développement (AKP) de l’actuel premier ministre Erdogan, n’existait même pas. Quant au ministre Cem visé par l’action, il faisait partie du gouvernement de coalition précédant l’arrivée de l’AKP au pouvoir.

 Durant cette action éminemment banale, je ne me suis même pas adressé au ministre Ismail Cem. Je m’étais en effet contenté de lancer quelques tracts et de scander quelques slogans à l’attention du public venu l’écouter.

 Il convient également de préciser qu’entre le 28 novembre 2000 et le 24 janvier 2007, date de son décès, Monsieur Cem n’a jamais personnellement porté plainte contre moi.

 Pourtant, malgré l’ancienneté, la légitimité et la légèreté de mon action, je risque toujours 15 ans de prison, les mauvais traitements et la torture en cas d’extradition vers la Turquie.

Autre détail d’importance : le service de sécurité du Parlement européen m’a gentiment reconduit à la sortie ainsi que la jeune femme qui participait à l’action à mes côtés sans que nous n’ayons été arrêté, maltraité ni livré à la police.

En revanche, les médias turcs pro-gouvernementaux lancèrent à l’époque une véritable campagne de lynchage envers la jeune activiste et moi-même : « Nous voulons leurs noms » titrait le journal Star au lendemain de l’action. « Cet homme qui vomit sa haine contre notre Etat, le voici » s’enflammait le quotidien Hürriyet, photo à l’appui.

 Treize ans plus tard, innocenté en Belgique et en Hollande pour des faits qui relèvent du chahut inoffensif et du militantisme de bon aloi, je me retrouvais une nouvelle fois otage de la justice turque, cette fois en Espagne.

J’ai eu beau expliquer aux agents espagnols le caractère illégitime, infondé, abusif et absurde de mon arrestation à l’aune du principe juridique universel du « ne bis in idem » qui interdit les poursuites pour des faits déjà jugés, les ordres étant ce qu’ils sont, je devais obligatoirement subir toutes les étapes légales de la procédure : prélèvement des empreintes digitales, interrogatoire, garde à vue, fouilles, menottes, comparution devant un juge d’instruction, transferts en fourgonnettes, attente en cellule, incarcération, isolement…

 Après quatre jours et trois nuits de détention, respectivement dans les cachots du commissariat de Cordoue et de Moraleja à Madrid puis à la prison de Soto del Real à proximité de la capitale espagnole, j’ai finalement été libéré moyennant le versement d’une caution de 10.000 euros. Cette somme a pu être constituée grâce à la solidarité et au sacrifice de parents, d’amis, de collègues, de camarades et d’innombrables soldats inconnus.

Qu’ils en soient tous vivement remerciés.

A présent, je suis tenu de répondre favorablement à chaque citation envoyée par l’Audiencia Nacional. Je devrai impérativement être présent à toutes mes audiences sans quoi la caution de 10.000 euros serait saisie sur-le-champ et un mandat de capture serait immédiatement émis à mon encontre.

En somme, une somme colossale est en jeu pour une affaire qui vaut moins que des prunes…

 Pourquoi l’Espagne ?

Si la simple mention du mot terrorisme suscite fantasmes et crispations dans un pays marqué par la lutte armée indépendantiste et la violence d’Etat, je ne comprenais pas pourquoi la demande d’extradition turque avait été prise au sérieux par les autorités espagnoles malgré la vacuité évidente de mon dossier. D’autant plus qu’entre le 28 mai et le 17 juin, j’ai séjourné dans cinq pays autres que la Belgique et l’Espagne sans pour autant avoir été inquiété par les services de police de ces pays.

 Le lundi 3 juin, j’ai rendu visite à Nezif Eski, un détenu politique à la prison de Fleury-Mérogis en France. Pourquoi ne m’a-t-on pas arrêté en territoire français ou mieux, dans l’enceinte de la prison ? On aurait pu ainsi éviter à mes enfants des souffrances cruelles et inutiles. L’Etat français mène de surcroît une répression judiciaire au moins aussi barbare que le régime d’Ankara à l’égard des militants soupçonnés d’appartenir au DHKP-C. Prenons l’exemple de Nezif Eski. Il est atteint d’un trouble nerveux incurable et mortel appelé algie vasculaire de la face. Nezif n’a fait que participer à des concerts, tenir des stands d’information et organiser des manifestations autorisées. La justice française ne l’accuse d’aucun acte violent ou répréhensible en tant que tel. En décembre dernier, il a été condamné pour sa prétendue appartenance au mouvement révolutionnaire anatolien, à quatre ans de prison dont trois ans ferme. De nature diplomate et pacifiste, Nezif Eski a préféré se rendre de lui-même à la prison. La semaine dernière, Nezif est devenu papa pour une seconde fois. Pourtant, les juges viennent de rejeter sa demande de remise en liberté provisoire en attendant son procès en appel. De plus, ses parloirs se déroulant derrière une vitre, il lui est interdit de tenir ou d’embrasser son nouveau-né ni sa fille de trois ans. Nezif qui n’a pas encore vu son fils est donc confronté à un sadisme à l’état pur. La police de l’Etat français s’est néanmoins gardée de me harceler durant mes séjours répétés dans l’Hexagone.

 Le vendredi 7 juin, je me trouvais aux Nations Unies à Genève pour assister à une conférence sur la Syrie dont l’une des intervenantes était Navy Pillay, la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. En marge de cette conférence, j’ai me suis entretenu avec des ambassadeurs de la paix sur le rapatriement des jeunes européens enrôlés par des sectes racistes et takfiri dans le conflit syrien. La police helvétique s’est elle aussi abstenue de m’arrêter en vertu du mandat d’arrêt lancé par la justice ankariote.

 Samedi 8 juin, je me suis rendu en autocar au concert du groupe musical turc Yorum à Oberhausen en Allemagne en transitant par les Pays-Bas. Les polices néerlandaise et allemande ont visiblement refusé de lancer les hostilités à mon encontre.

 Le samedi 15 juin, l’avion qui m’emmena en vacances avec ma famille a atterri à Faro en Algarve. J’ai ainsi pu séjourner au Portugal sans le moindre souci. Le lendemain, la police portugaise m’a laissé partir vers l’Espagne.

 Compte tenu de tous ces éléments, plusieurs jours après ma remise en liberté sous caution par le juge madrilène Bermudez, mon arrestation en Andalousie demeure toujours une énigme pour moi.

Belgique complice ?

L’autre question qui me taraude concerne l’implication éventuelle des autorités belges dans mon arrestation en Espagne à l’instar de l’opération barbouzarde dont je fis l’objet le 28 avril 2006 aux Pays-Bas.

A l’époque, l’Etat belge avait tenté de se débarrasser de moi en chargeant les autorités néerlandaises de me livrer à la Turquie. Comme j’étais de nationalité belge et comme la Belgique n’extrade pas ses nationaux, les agents secrets de mon pays m’avaient tendu un piège durant un séjour aux Pays-Bas.

Finalement, après 69 jours de privation de liberté, les juges néerlandais avaient ridiculisé nos Dupond et Dupont nationaux en refusant d’honorer la demande turque d’extradition au motif que mon chahut au Parlement européen ne relevait pas du crime terroriste comme l’entendait la justice turque.

J’avais pu rentrer chez moi en Belgique. A propos de la réunion secrète du 26 avril 2006 dont l’objectif avoué était ma livraison deux jours plus tard à la Turquie via les Pays-Bas, une enquête est actuellement en cours. Au vu des antécédents de l’Etat belge dans son traitement à mon égard, mes soupçons semblent loin d’être fantaisistes.

Autre élément troublant : la ministre de l’intérieur Madame Joëlle Milquet se trouvait en Turquie six jours avant la relance par Ankara de mon mandat d’arrêt international via Interpol.

A cette occasion, elle a rencontré Hakan Fidan, le directeur de la Milli Istihbarat Teskilati (MIT), l’Organisation nationale du renseignement turc dont les activités illégales voire terroristes sont régulièrement épinglées par les médias indépendants et par les ONG internationales.

D’après le blog de la ministre de l’intérieur et les médias turcs, la discussion menée à Ankara aurait porté sur le DHKP-C, le mouvement marxiste clandestin dont les autorités turques me soupçonnent d’être un membre, ce que j’ai toujours formellement démenti.

Plus louche encore, la discussion du 22 mai 2013 entre Mme Milquet et M. Fidan semble s’être focalisée sur l’extradition de membres présumés du DHKP-C vivant en Belgique, ce que suggère Madame la ministre dans le passage suivant :

« Au-delà de la problématique des Belges qui combattent en Syrie, les autres formes de terrorisme, entre autres liées aux attentats du DHKP-C, ont aussi été évoquées, de même que les réformes récentes de la législation anti-terroriste en Turquie.
Les différents ministres se sont mis d’accord pour concrétiser au quotidien leur nouvel accord de collaboration et renforcer fortement leur cadre de coopération par des échanges constants d’informations, de pratiques, d’entraide judiciaire et policière et de rencontres régulières, via par exemple des contacts directs entre les personnes des services belges et turcs compétents. Ils ont notamment décidé d’organiser sans attendre deux rencontres concrètes, notamment entre les services de police, de renseignements et certaines autorités judiciaires avant l’été : l’une en Turquie concernant la problématique des ressortissants belges en Syrie et le suivi renforcé et mutuel des dossiers, informations et analyses les concernant ; l’autre à Bruxelles pour un échange d’expertise et d’informations entre services concernant les autres formes de terrorisme évoquées lors des rencontres
. »

DHKP-C, collaboration policière, entraide judiciaire, échanges d’informations et d’expertises « au quotidien »… Comment ne pas se sentir visé lorsque l’objet de la rencontre policière belgo-turque est évoqué de manière aussi explicite et détaillée ?

Madame Milquet n’est pas sans savoir que je me trouve dans la ligne de mire de ses homologues turcs et qu’à ce titre, toute contribution même passive de l’Etat belge à la répression aveugle du régime d’Ankara contre les opposants turcs qui vivent sur le sol belge m’expose inéluctablement à la cabale menée par l’Etat néo-ottoman à mon encontre.

La protection de Mme Milquet, seul gage de sa bonne foi

Dans une réponse adressée à mon confrère et ami Michel Collon, Mme Milquet affirme que durant son séjour en Turquie, « à aucun moment, il n’a été question du cas spécifique de Monsieur Bahar Kimyongür ».

 Le même jour, Madame Milquet m’a accusé de proférer des accusations « proches de la diffamation » dans un article paru dans le Soir (samedi 22 et dimanche 23 juin 2013) tout en martelant qu’elle n’a « rien à voir » avec mon arrestation en Espagne.

 En réponse à la réaction de la ministre, je précise qu’il ne faut pas avoir été nommément cité dans une réunion officielle pour subir la répression de l’Etat turc. En effet, laisser les coudées franches aux agents du régime d’Ankara permet à ces derniers de nuire à qui ils veulent, où et quand ils veulent.

 Deuxièmement, dans mon propos relayé par les médias belges, il n’a été nullement question d’accuser la ministre. Je me suis strictement limité à exprimer des soupçons en soulignant la présence d’indices inquiétants de complicité entre la police belge et les organes de répression du régime d’Erdogan qui instrumentalise l’antiterrorisme à l’envi pour faire taire ses citoyens critiques.

Si Madame la ministre tenait vraiment à honorer les valeurs humanistes qu’affiche son parti, elle aurait dû prendre ses distances par rapport à la police turque dont la cruauté envers la mouvement de contestation qui s’est cristallisé autour du sauvetage du parc Gezi à Istanbul a atteint un niveau difficilement défendable.

 Le fait qu’après treize ans, la justice turque s’acharne toujours sur moi pour un simple chahut aurait dû interpeller Mme Milquet sur l’état de la « démocratie » en Turquie. Hélas, il n’en a été nullement le cas.

 Si Madame la ministre n’a vraiment rien à se reprocher dans la persécution dont je fais l’objet sur base du mandat d’arrêt Interpol et contre lequel je ne dispose d’aucun moyen légal pour me défendre, je lui demande de me protéger, d’intercéder en ma faveur lorsque la police d’un pays tiers veut exécuter le signalement Interpol à la lettre.

A propos de ses accusations selon lesquelles mes soupçons sur sa participation potentielle à mon arrestation en Espagne friseraient la diffamation, je rappelle que le seul diffamé dans l’histoire, c’est moi-même et qu’elle en est personnellement responsable.

 Le 28 mai dernier, Madame Milquet a en effet refusé de participer à un débat public sur les volontaires belges qui combattent en Syrie au seul motif que je figurais parmi les intervenants. Le boycott de la ministre a contribué à renforcer l’image que les autorités turques donnent de moi, celle d’un terroriste et d’un individu infréquentable.

 Finalement, le jeudi 13 juin, la radio publique belge nous a réunis, à mes dépens, autour d’un débat sur les jeunes volontaires belges qui se battent en Syrie. Jointe par téléphone, la ministre de l’intérieur, Mme Joëlle Milquet m’a attaqué sur mon engagement dans ce dossier, m’accusant d’être un sympathisant du gouvernement syrien.

 Je lui fis remarquer que son gouvernement soutenait Al Qaïda en Syrie. Cet incident verbal a eu lieu quatre jours à peine avant mon arrestation à Cordoue.

 On serait tenté de croire que Mme Milquet a organisé mon interpellation en Espagne pour se venger de ma remarque insolente.

 Malgré nos divergences politiques persistantes, personnellement, je me refuse de porter une telle accusation et de verser dans le « Milquet Bashing ».

 D’ailleurs, le 20 juin dernier, interpellée par l’écologiste Benoit Hellings au Sénat, Madame la ministre a juré n’avoir joué aucun rôle dans mon arrestation à Cordoue.

 Dont acte.

 Après 13 années de criminalisation, Madame la ministre comprendra aisément que pour croire pleinement en sa sincérité, je demande une protection active contre toute tentative d’extradition vers la Turquie.

 C’est le minimum syndical que Madame Milquet doit me garantir si elle considère que je suis un citoyen belge, libre et innocent.

 Source : Investig’Action michelcollon.info


Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles

Il paraît selon un journal israélien, que l’Imam Yussuf Qaradawi aurait été déchu de sa nationalité qatari et expulsé du Qatar.

Le président du bureau politique du Hamas Khaled Meshaal a été prié de quitter le Qatar – où il vivait depuis qu’il avait quitté Damas – dans les 48 heures.

Aussi il paraît que le Qatar à retirer son soutien aux Frères Musulmans suite aux événements en Egypte.

 

Editions Démocrite